Bande dessinée, roman, série TV: les fans de tricornes et d’exotisme ont le choix pour aborder l’univers de Rani. Après feuilletage, je n’ai pas aimé le dessin de la BD et n’étant pas fan des scénarios de XIII, Thorgal et Largo Winch, j’avais de sérieux doutes sur ma capacité à rester seul avec Jean Van Hamme. J’ai donc opté pour la série: au pire il y aurait toujours Mylène Jampanoï dans un costume XVIIIe qui, sur la photo, semblait tenir la route. Suite au visionnage, il y avait surtout Mylène Jampanoï sans beaucoup de costume, mais qui suis-je pour jeter la pierre à ce fin scénariste de Jan Van Hamme dont j’ai trop longtemps sous-estimé l’œuvre ?

La rani éponyme s’appelle Jolane de Valcour, c’est la fille d’un marquis français et de sa servante Chinoise, élevée au couvent, qui découvre les horreurs de la vraie vie à la mort de son cher papa. Il lui arrive un nombre incalculable d’aventures: accusée de meurtre et de haute trahison, marquée au fer rouge, prostituée de force… Mais comme en plus d’être super belle, elle est super intelligente, super forte à l’escrime, super gentille et super attachante, elle s’en sort à chaque fois. Jolane finit toujours par commander quel que soit l’environnement, même quand elle se retrouve «rani», femme de maharadjah. Et en despote éclairée, elle lutte contre l’injustice. C’est qu’en plus d’être une Mary-Sue, Rani c’est Arlette Laguiller. C’est malheureusement dans ces moments «justice sociale» que Mylène Jampanoï est la moins convaincante en tant qu’actrice. Le pompon reste sa tirade lorsqu’elle s’invite au conseil des ministres de son maharadjah de mari pour défendre les petites gens et dénoncer la corruption des fonctionnaires de police locaux. De la plus pure exaspération de club théâtre de collège, tellement peu crédible que je m’attendais à voir les paysans de Kaamelott débarquer en gueulant «Pas content! On en a gros!». Côté scénario, on a droit à un bout de surnaturel qui ressemble d’ailleurs pas mal aux effets spéciaux de Kaamelott et est parfaitement inutile: les manières dont Jolane se sort de situations inextricables pendant toute la série sont assez rocambolesques pour ne pas avoir besoin d’ajouter un deus ex machina au sens propre du terme.

La place des hommes est particulièrement intéressante dans la série. S’ils sont des Blancs, ce sont soit des méchants, soit des puissants un peu bêtes qui se font avoir par les méchants, soit des beaux guerriers amoureux de Rani. OK, en fait tout le monde est amoureux de Rani, même les méchants, pardon les Méchants. Cupides, vicelards, menteurs, sadiques, ils roulent des gros yeux et passent leur temps à essayer de la tuer, la violer ou à défaut de la racketter, parce qu’il n’y pas de petit profit. Pas un seul Méchant un peu fin, donc des acteurs qui en font des tonnes, ou plutôt font ce qu’ils peuvent avec des personnages sortis d’un mauvais jeu vidéo. Et en plus ils sont racistes, mais étonnement seul le grand Méchant fait référence au fait que l’héroïne soit métisse. Dans une série qui dénonce souvent le colonialisme de l’époque, et vu le racisme ambiant au XVIIIe siècle, ça fait très politiquement correct du XXIe siècle que ce genre de remarque soit réservé aux Méchants. De plus, dans la grande tradition des romans populaires franchouillards et des vieilleries comme Tarzan, les non-Blancs sont surtout des faire-valoir, destinés à sauver l’héroïne et se prendre des balles dans la peau à sa place. Donc en théorie un bel effort de mettre de la diversité dans les visages du prime time, mais qui n’est pas allé jusqu’au bout. Enfin, j’étais quand même content de réentendre les infrabasses de la voix de Doudou Masta, un de mes héros du rap français dans les années 90 avec son groupe Timide & Sans Complexe. Si la fonction de bretteur chef de bande lui allait plutôt bien (Brûle la prison!), en tant qu’acteur il y a encore du travail.

Les femmes sont un peu mieux loties niveau personnages: Lio est une maquerelle à poigne, Yaël Abecassis une diplomate troublante et Gabriella Wright une prostituée-mais-pas-seulement. D’ailleurs quand on y regarde à deux fois, Rani n’est pas vraiment prostituée, à croire que ce n’est bon que pour les seconds rôles et indigne d’une héroïne, bonjour l’image des travailleuses du sexe. Plusieurs femmes sont elles aussi amoureuses de Jolane, sans doute pour montrer qu’elles sont bien les égales des hommes vu qu’un personnage n’est pas un vrai personnage s’il n’est pas amoureux de la belle Mylène. C’est chouette et ça émoustille sans doute le spectateur mâle qui a été traîné devant une série en costumes par bobonne. Mais il faut avouer qu’en comparant la diction de Mylène et Gabriella à leurs plastiques, on a plus l’impression d’être devant le film du Dimanche soir de M6 de mon adolescence que devant un «vrai» film. Les plus vulgaires des spectateurs concluront qu’à défaut d’être une bonne actrice, Mylène Jampanoï est une actrice bonne. Et bien sûr pas de représentation de l’homosexualité masculine, faudrait pas non plus trop choquer le bourgeois. Donc vraiment, question diversité, pour moi c’est «essaie encore».

Pour continuer dans les visuels agréables, mention spéciale aux très beaux décors, qu’ils soient naturels ou construits. Je ne connais pas l’Inde mais j’ai été bluffé par l’ambiance qui s’en dégageait. C’était vraiment agréable de voir des lieux différents car les sites de tournages en France avaient un petit goût de déjà-vu. Les combats sont plutôt pas mal, sans trop de moulinets en collants à la Carliez et Mylène Jampanoï semble en avoir fait la majorité et s’en sort plutôt pas mal. Ce qui choque le plus sont les costumes masculins, dont quelques foirades magistrales qui semblent sorties d’un site de vente par correspondance gothique ou du loueur de déguisement du coin. Ces décorations avec un rendu «bande métallique thermocollée» vont me hanter encore longtemps. Les chemises sont tellement mal portées que si le Roi Heenok avait remplacé Doudou Masta, on aurait eu droit à un superbe “mon jabot touche à mon pénis”.
La réalisation est particulièrement hétérogène, parfois très académique et parfois coupée à la hache. Certains raccords sont douteux mais surtout de nombreuses scènes s’enchaînent n’importe comment. Mention spéciale à la dernière minute de la série, sorte de reprise du générique version clip de danse, sans doute en hommage à Bollywood. Effectivement, la chorégraphie fait penser à Don’t care, mais soit il fallait y aller à fond et ajouter des numéros chantés et dansés pendant tout la série, soit introduire ce dernier de manière un peu plus subtile. Là ça arrive vraiment comme un cheveu sur le curry (ok, je sors).

Pour continuer dans la musique, la bande originale est ultra-pompière, aussi intrusive que dans Casanova mais sans son côté déjanté. Maximum respect par contre au clin d’oeil au Barry Lyndon de Kubrick en faisant jouer la Sarabande de Haendel au sitar par les musiciens du bordel indien. Pour en finir avec l’audio, la série tente de jongler entre les langues mais se plante pas mal, de l’accent du héros «anglo-irlandais» à la mère du maharadja qui ne peut pas blairer les étrangers mais parle quand même français quand elle est seule avec son fils.

A part pour les costumes masculins, Rani est donc un divertissement visuellement réussi. Pour ce qui est du reste, scénario, jeu d’acteurs etc, disons que les enquêtes de Nicolas Le Floch n’étaient pas si mal après tout.

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7 Responses to Rani

  1. Alias says:

    Les Enquêtes de Nicolas Le Floch étaient surtout desservies par la plaie des séries françaises actuelles: des acteurs en-dessous de tout.

    Des fois, j’ai l’impression que la joyeuse bande qui fait Flanders Company joue mieux que le commun des acteurs de série.

  2. Calamity says:

    Merci pour ce commentaire édifiant et très agréable à lire; j’hésitais à laisser une chance aux séries-fresques françaises avec “Rani”, mais je crois plutôt que je vais rester sur mon vieux traumatisme du “Château des Peupliers” et ne pas en remettre une couche 🙂

    Une question cependant (qui est également une remarque plus générale car je vois souvent cela dans des commentaires et critiques un peu partout) : pourquoi forcément voir un hommage à “Barry Lyndon” dans l’utilisation de la sarabande de Haendel? De nombreux films postérieurs ont utilisé ce petit bijou musical dans leur montage sans pour autant être un clin d’oeil appuyé au métrage de Stanley Kubrick; j’ai l’impression que ce dernier est tellement culte qu’il justifie que toute nouvelle utilisation de la sarabande en soit tributaire. Or si je pense par exemple aux “Prédateurs” avec Catherine Deneuve et David Bowie qui utilise deux fois la sarabande (au début et à la fin), il n’y a absolument aucun rapport ni aucun lien avec “Barry Lyndon”.

    Pourrais-tu développer ton propos? Quelle est la scène exacte de “Rani” où l’on entend ce thème? Y a-t-il un clin d’oeil également dans la mise en scène ou dans le propos?

  3. Thomas B. says:

    On est bien d’accord que ce morceau peut théoriquement être utilisés par d’autres dans n’importe quel contexte, sans volonté de références. Une partie de la population l’associera à Barry Lyndon de toute façon, mais effectivement il faut avoir vu le film.

    Maintenant si tu fais un film XVIIIe et que tu utilises ce morceau, c’est grillé, tout le monde pensera à Barry Lyndon. Ce film est un des plus importants sur cette période et le morceau est aussi marquant que les scènes filmées à la bougie avec les fameuses lentilles.

    Si en plus ton film XVIIIe raconte une histoire d’ascension/descente sociale rocambolesques et comporte des scènes dans des bordels, oui, le fait d’utiliser la sarabande devient obligatoirement une référence.

    Là ce qui est marrant c’est que le morceau est diégétique, joué au sitar par des musiciens indiens dans le bordel de Rani.

  4. Jean-Louis says:

    Merci pour cette critique, qui m’évitera sans doute une nouvelle tentative à la diffusion de la prochaine saison !
    Les tricornes étant rares à la télévision, j’ai essayé plein d’espoir, et j’ai décroché au bout d’un quart d’heure, je ne sais pas, j’avais l’impression que l’action n’avançait pas… Et l’acteur incarnant le Méchant demi-frère surjoue comme au temps du muet.

    Nicolas le Floch a ses défauts (la moyenne arithmétique ne s’applique pas à l’uniformologie, combiner des effets Louis XIV et Consulat de fait pas un uniforme Louis XV) mais par comparaison m’est bien plus tolérable. J’ai regardé sans déplaisir l’épisode de vendredi dernier, et je compte bien goûter à celui de ce vendredi.

    Mon rêve ? Une *bonne* série télévisée (ou une trilogie au cinéma, à la “Seigneur des Anneaux”, mais là ce n’est plus un rêve, c’est du délire !) des aventures du “Scorpion”. Le réalisateur des “Rivières Pourpres II” me paraît tout indiqué : quelqu’un capable de mettre en scène sans rire des moines – ninjas – néonazis – bourrés aux amphétamines serait parfait pour diriger les moines – soldats du Cardinal Trebaldi.

    Quant à l’utilisation de la Sarabande de Haendel dans les “Prédateurs”, l’action du film commence au 18ème siècle, si je me souviens bien ?

  5. […] médiatique. J’ai vu les titres de Bernard Werber partou, déclinés sur pas mal de supports (ma dernière expérience transmédia était peu concluante) et ai découvert l’existence de Maxime Chattam par des 4×3 bien criards dans le métro […]

  6. […] Tous ne sont pas des monstres fleure avant tout l’anticipation, voire l’uchronie: des intégristes musulmans déclenchent des soulèvements de plus en plus violents dans les banlieues françaises pour finalement établir un blocus autour de toutes les grandes villes. Encore une fois, l’accroche est très casse-gueule, mais traité avec talent et subtilité il y aurait eu moyen de s’en sortir. Au lieu de ça, on a droit à un bon gros « alors voilà, les islamistes c’est tout pareil que les nazis, mais cette fois-ci les juifs ne vont pas se laisser faire, et ils vont sortir l’artillerie lourde ». La dite artillerie est occulte puisqu’il s’agit d’un golem ou plutôt du Golem, récupéré suite à un passage par Prague de Nathan, le héros qui va sauver le monde. Le point Godwin est donc atteint dès le début, et malheureusement pour la subtilité on repassera. La banlieue est uniquement décrite par des clichés, c’est à se demander si Maud Tabachnik n’est pas le nom de plume de Nadine Morano. On en vient à chercher le logo TF1 sur la couverture, se dire que Jean-Pierre Pernaut a du servir de documentaliste et que Claude Géant aurait pu écrire la préface. Les méchant islamistes sont tellement Méchants qu’ils ont même des têtes de méchants avec des jouent creusent qui roulent des yeux : j’en suis venu à regretter le sens de la nuance et le jeu tout en finesse des acteurs de Rani. […]

  7. […] des paysages magnifiques et des costumes qui ne font pas clinquants comme, au hasard, ceux de Rani. Le plaisir des oreilles n’est pas en reste, avec de très chouettes duos tambour-flûte et […]

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