slutwalkQuand les médias, partis traditionnels, églises autres lobbies ne disent pas grand chose sur un sujet qui fâche, il faut faire le boulot soit même. La solution de base est bien sûr d’en parler autour de soi, en famille et au boulot, mais l’impact est forcément limité. Passer à la vitesse supérieure implique de se faire remarquer du plus grand nombre en occupant l’espace public.

 

Mes deux dernières “occupations de l’espace public” concernaient des sujets qui touchent pas mal de monde. En janvier j’ai participé à une manifestation anti-ACTA à Paris, à l’appel, entre autres, de la Quadrature du Net pour le côté sérieux, Anonymous pour le côté visible et Act Up! pour le côté sida. ACTA, c’était le fliquage généralisé du net pour permettre un meilleur verrouillage de la propriété intellectuelle, mais pas que. Oui ça faisait chier les jeunes blancs riches et cons qui téléchargent illégalement des mp3 de Rihanna, mais le volet “industrie pharmaceutique” pouvait réduire l’accès aux thérapies anti-sida dans les pays pauvres. Hier, j’ai participé à la Slut Walk Geneva, Marche des Salopes à Genève en bon français. Contre le viol bien sûr, mais surtout pour rappeler aux gens le concept pourtant simple que non, une personne violée n’est pas responsable de son viol. Une victime est une victime, c’est quand même pas compliqué. Mais comme le montre la vidéo ci-dessous, il y a encore du boulot à faire, donc, comme le criait une des intervenantes, “féministe, tant qu’il le faudra!”.

 

acta

Le mème “it’s a trap! de l’amiral Ackbar”: rigolo, mais incompréhensible pour le français moyen.

Visuellement, les deux manifs étaient très différentes: contre ACTA, une foule emmitouflée de couleurs sombres (on était à Paris) pour lutter contre l’hiver, défile sur des kilomètres de la Bastille à la Place des Victoires. Interruption du traffic, cortèges de flics, une manifestation comme il y a en des dizaines tous les ans à Paris, mais sans la grosse artillerie des syndicats ou des partis. Dans la paire de milliers de personnes, surtout des hommes jeunes, de la vingtaine à la trentaine, parfois masqués à la “V pour Vendettanonymous” mais globalement avec des bons looks d’informaticiens, de rôlistes et autres “nerd next door”. La manif se termine par une fusion improbable avec des Syriens qui manifestaient contre les massacres, ça grimpe sur la statue, ça agite des drapeaux divers et ça se disperse aussi spontanément que ça s’est assemblé.

Pour la SlutWalk, quelques centaines de personnes, en majorité des femmes mais pas que, ont tourné dans un quartier peu fréquenté en ce samedi après-midi d’été indien, avec comme point névralgique l’Usine PTR, salle de spectacle autogérée. Ethniquement un petit peu plus diverses que les anti-ACTA, elles affichaient surtout des looks beaucoup plus variés et bariolés, de la danseuse burlesque à la retraitée en déambulateur qui passait pas là. J’ai raté la partie mobile car, choc culturel, en Suisse les manifs démarrent à l’heure et ne traversent pas toute la ville. Mais loin de se limiter à une marche, l’événement se poursuivait en face de l’Usine, avec des témoignages de survivantes, des performances d’une troupe de néoburlesque et un concert punkofolk. Contrairement aux privates jokes des anti-ACTA, la plupart des pancartes des Salopes étaient claires et compréhensibles. Les témoignages étaient puissants et les danseuses apportaient une vraie rupture de la place de la femme dans un lieu public. On se prend à rêver ce que ça aurait donné si la manif était passée Rue du Marché pour se terminer Place du Molard, si il y avait eu 2000 au lieu de 200 personnes et surtout, plus de “madame tout le monde”.

 

Ne nous méprenons pas, je pense que dans les deux cas les manifs ont été des succès. Les anti-ACTA ont montré aux clients de cafés du coin, aux automobilistes immobilisés par le cortège, aux mères de famille qui passaient par là qu’il y avait un traité qui en voulait à leurs libertés, que leurs politiciens s’en foutaient et qu’il faillait faire quelque chose. Pour la Slut Walk, l’appropriation de l’espace public a été mineure en terme de nombre de personnes affectées, mais très profond en terme d’intensité. Des femmes ont pu parler de leur viol au micro, à l’extérieur, en plein jour. Des femmes ont pu porter et enlever les vêtements qu’elles voulaient, quand elles voulaient, devant une foule mixte et enthousiaste, sans risque d’agression. La Marche des Salopes a libéré la parole, brisant les tabous, le silence. Et je pense que dans les deux cas, ces manifestations ont apporté à leurs participant-e-s le sentiment rassurant de ne pas être seul-e, un côté “thérapie de groupe” très important quand les gens préfèrent ignorer un problème, voire reportent la culpabilité sur ceux et celles qui en parlent au grand jour.

 

Seul bémol, dans les deux cas, le recrutement semble s’être fait par des réseaux sociaux bien définis. Résultat, on était quand même entre soit: geeks énervés ou femmes alterno-militantes, il y  avait peu de mères de famille immigrées et de banquiers blancs quinquagénaires. Les réseaux sociaux ont fonctionné, mais entre ami-e-s. La prochaine fois, il faudra trouver un moyen de toucher les vieux, ceux qui ne sont pas sur Facebook, ceux qui ont eu peur de la réappropriation du mot “salope” etc. C’est du boulot, mais ça vaut le coup. Et pour commencer, pourquoi pas fusionner les deux milieux? Récemment, un mouvement contre la culture du viol et le harcèlement des femmes dans les communautés geeks s’est levé, donc il y devrait y avoir moyen d’aller chercher des synergies de ce côté là. Comme disait le daron en 68: “Ce n’est qu’un début, continuons le combat!”

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6 Responses to Salopes et binoclards de tous pays, unissez vous!

  1. Coline says:

    Salut,
    Merci pour ton article. Je serai vachement interessée à une reflexion sur les possibilités de com hors reseaux sociaux. Dans le cas de cette manif qui s’est organisée hyper à la der, on a utilisé tous ce qui était facile et gratuit, et c’est claire que FB se posait un peu là.
    Bien à toi,
    Coline

  2. Thomas B. says:

    Pas de soucis, facebook était le choix logique, et c’est comme ça que j’en ai entendu parler, mais par une copine alterno-féministe qui a le même age que moi, donc toujours la même sous-démographie.

    Pour toucher la masse il faut:
    – du fric. C’est ce qu’ont les multinationales, les mass médias, les gouvernements. Donc de ce côté, à moins d’aller démarcher les milliardaires ou d’en connaitre plein, c’est mort.

    A défaut de fric il reste:
    – de la masse, c’est à dire tout plein de militants qui sont partout. Ca prend du temps de recruter et c’est dur (exemple typique et perso: j’ai pas le temps). Mais répéter le truc dans différentes villes peut aider. La masse peut aussi s’acquérir par des alliances avec d’autres mouvements. De mon expérience, plus c’est ponctuel et précis mieux ça marche, dès qu’on essaie de construire sur la durée ça commence à foirer.
    – du temps: à force d’être là sur la durée, on acquiert une visibilité de fait. Là encore, la répétition dans d’autres villes peut aider.
    – de la shock value: c’est déjà fait avec le nom et les looks, maintenant le souci c’est de voir les gens s’y habituer et ne plus être choqué sans toutefois changer leurs comportements, par exemple comme on ignore les SDF à force d’en voir tout le temps. Là faut savoir faire preuve de créativité pour renouveler les actions et générer la surprise à chaque fois (cf. Greenpeace et Act Up, parfois borderline…)
    – de l’entrisme: dans les médias (réseautage, fourniture de matos tout prêt, stages, piges), les partis (là faut s’encarter, c’est long et difficile) etc
    – des leaders d’opinion. Pas forcément friqués, mais des gens ayant une audience, qu’ils soient artistes, décideurs corporate, politiques, franc-maçons, anciens respectés dans une communauté immigrée, que sais-je encore: aller convaincre “l’élite” pour toucher plus de gens plus rapidement. Pas top quand on a des principes égalitaires, mais realpolitik tout ça…

  3. coline says:

    Je vais imprimer ce message et l’amener lors de notre réunion de de-breifing. C’est hyper interessant et on va se pencher sur la question. Si tu veux t’investir, d’une manière ou d’une autre, fais-nous signe.

    • Thomas B. says:

      Je continuerai à faire mon paresseux en faisant pas grand chose: descendre dans la rue de temps en temps et relayer le message où je peux. J’ai plus d’audience chez les geeks que chez les féministes, donc ce sera déjà ça de pris pour vous 🙂

  4. […] Thomas B.French post-geek / Fils caché d'Agnès et Benny Salopes et binoclards de tous pays, unissez vous! […]

  5. […] Blogs: Demir Sonmez, Myrrh and Mint, Paola Salwan (FB), Dam Von Smock (FB), Creative Eye Photo, Thomas Be. […]

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