Après un article cathartico-humoral, voici donc ma participation à la grande campagne nombrilo-feel good-coming out orchestrée par Tonton Alias. L’idée est de présenter ce que la pratique du jeu de rôle nous a apporté dans la vie. Comme je joue sur table et en grandeur nature, je parlerai des deux. Si vous êtes pressé, lisez juste le titre suivant.

 

 

Je ne me suis pas ennuyé seul depuis l’age de 12 ans.

C’est mauvais signe pour l’industrie du divertissement mais mine de rien, c’est pas rien. Bien sûr que je me suis ennuyé et m’ennuie encore parfois en groupe: devant des films pourris, lors de jeux chiants ou des dîners de cons. Mais vous me laissez seul face à moi même et c’est parti. Par sa manière d’imposer et de canaliser la créativité, le jeu de rôle, qu’il soit sur table ou en grandeur nature, me fait tourner la machine à idées 24h/24. Ca peut être car je me suis mis la pression: je dois maîtriser une partie à date fixe et que je n’ai pas de scénario écrit sous la main. J’y penserai le matin en me rasant, en faisant ma lessive et hop! au détour d’un changement de bus, l’idée débile ou le déblocage de situation narrative arrivera. C’est quand même plus intéressant que faire le sudoku du journal gratuit. Mais ça peut aussi venir de manière spontanée et incontrôlable: mes deux dernières idées de GN viennent de l’écoute de morceaux de musique. Ceux qui lisent mes articles musicaux ont raison d’avoir peur. Mais donc vous me laissez seul, et ça tourne en boucle, souvent par pur plaisir mais des fois ça donne des trucs qui donnent aussi du plaisir aux autres. Merci le jdr!

 

I got mad skillz

Quand on leur demande ce que le jdr leur a apporté, les rôlistes parlent souvent en terme de compétences ou savoirs acquis grâce aux jeux. Je suis d’accord pour certains, moins pour d’autres. Comme beaucoup, c’est le jdr qui m’a motivé à apprendre l’anglais. De nombreux jeux ou suppléments originaux n’étaient simplement pas disponible en français (ah, When gravity fails pour Cyberpunk: combien de scénario d’introduction proposent d’incarner des transexuels?) ou tout simplement étaient moins chers que les version traduites. Certes le vocabulaire était assez orienté, donc à douze ans je savais comment dire «masse d’arme» et «fléau à deux mains», mais pas conjuguer mes verbes irréguliers. Ce vocabulaire m’a permis d’aborder l’oeuvre de Terry Pratchett, elle aussi pas encore traduite a l’époque, et de là mon univers culturel n’a plus jamais été le même. J’ai déménagé aux USA en 1999 et la langue n’a pas été un problème en arrivant. Le jdr (ou dans mon cas le GN)  est de plus un bon moyen pour les expatriés de rencontrer des autochtones en dehors de son milieu professionnel.

 

T’as combien en baratin?

De nombreux rôlistes disent combien le jdr leur a permis des relations sociales à un age où elles étaient difficiles. Ce n’est pas vraiment mon cas: je n’étais pas un paria à l’école, j’avais une vie associativo-religieuse et sortait même en soirée hip-hop et dance hall. J’ai d’ailleurs rencontré des gens bien plus variés par mes engagements caritatifs et en allant à des concerts de rap que dans le jdr. Pour ce qui est du sexe opposé, les milieux hip-hop et reggae étant aussi masculins que celui du jdr à l’époque, ce n’est pas là non plus que j’ai trouvé mes premières petites copines. On rigole souvent qu’être rôliste est un excellent contraceptif, mais quand les hormones ont poussé, je suis tout simplement allé chercher dans mes autres cercles sociaux. OK, aujourd’hui je suis heureux avec une rôliste, donc on dira «chassez le 20 naturel…». Enfin, je dois surtout remercier le GN international qui par ses conventions nordiques m’a fait rencontrer des artistes, éducateurs, sociologues et autres activistes que je ne voyais plus trop depuis ma prostitution au grand capital.

 

Mon CV j’te donne mon CV

Côté boulot donc, je fais partie de ces rôlistes qui mettent le jdr dans leur CV, mais sous deux angles qui m’ont réellement apporté en matière professionnelle.L’écriture tout d’abord, commencée dans le fanzinat, poursuivie par la presse (critique, scénario) puis l’édition (contexte, scénario, direction éditoriale), et je suppose qu’on peut considérer ce blog comme une forme de sous-fanzinat. Contrairement à ce qu’on imagine souvent, ces expériences ne m’ont pas du tout appris à être créatif (ça ça tourne en roue libre). Par contre elles m’ont appris à livrer en temps et en heure un texte d’une longueur imposée, sur un sujet précis, utilisable par autrui, écrit dans un français compréhensible voire divertissant. Mine de rien, réunir toutes ces conditions n’est pas si répandu, et est bien plus rare (et plus recherché par les éditeurs) que «l’originalité» ou «la créativité». Quand on y repense, il y a assez peu de domaines qui permettent à des débutants complets, qu’ils soient illustrateurs ou auteurs, de se lancer dans des ouvrages dépassant le millier d’exemplaires. Et même les rémunèrent: ces activités de pigiste ont été payées en francs et en euros sonnants et trébuchants, donc même si je n’ai jamais vécu de ma plume en jdr, j’ai plusieurs fois pu me payer un resto ou remplir le caddie du supermarché grâce à mes piges.

 

L’autre aspect est lié à la gestion de projet, présente sur les suppléments de jdr dont j’avais la direction éditoriale mais surtout sur l’organisation d’événements. Ceux-ci allaient de sortir un fanzine à monter une convention inédite pour la région ou organiser un GN de A à Z. Tous avaient en commun de gérer des deadlines, des équipes de bénévoles, des imprévus, des personnalités extérieures, de l’administratif, de la logistique, un budget etc. Comme ce n’était pas mon métier, je pouvais toujours payer mon loyer si l’événement foirait, mais cette moindre pression a permis de tester en relative sécurité des aspects de la gestion de projet, de l’événementiel et de la gestion de la communauté. Les milieux rôlistes et GNistes sont souvent petits, mais identifier les attentes et les besoins de chacun, les rumeurs, les rivalités et les leaders d’opinion sont des compétences applicables à tous les milieux. Vous me direz qui si j’avais commencé par des fanzines sur les timbres ou la pêche à la mouche ça aurait été pareil, et vous aurez raison.

 

Petit bémol global sur ce chapitre

J’ai bien plus appris sur le gestion de projet et de milieu et sur la nature humaine en 20 semaines dans une grande entreprise qu’en 20 ans dans le jdr. De même pour l’écriture: mon vrai travail m’a réellemnent appris à cibler mon public, à faire très court et très efficace, bien plus que tout supplément ou critique de magazine. C’est sans doute pour ça que j’ai ce blog aujourd’hui: je suis chez moi et chez moi je tartine si je veux. Pareil pour ce qui est de parler en public ou convaincre des gens: à part pour les gros timides, parler devant 5 personnes venues se détendre autour d’une table, c’est quand même pas si difficile que ça. Convaincre une foule hostile c’est déjà plus chaud, et le GN est en cela bien plus utile que le jdr. Mais encore une fois, la Vraie Vie, surtout quand elle implique des responsabilités légales ou financières, est infiniment supérieure à toute simulation. Donc le jdr c’est sympa pour décoincer les autistes et tester des vannes en public, mais c’est pas ça qui fera de vous un bon vendeur.

 

Y a jamais assez d’XP

Le jdr a un gros problème: il est chronophage, surtout pour les MJ. Quatre heures c’est considéré comme plutôt court pour une partie, si en plus on doit la préparer, lire le background etc, les heures s’accumulent et si on veut maintenir un vrai boulot, une relation de couple, une vie de famille, une hygiène personnelle et une alimentation à peu près normale, il ne reste plus beaucoup de temps pour le reste. Le jdr est aussi une activité d’intérieur et j’aurais sans doute passé plus de temps dehors en grandissant si je n’en avait pas fait. Les GN en extérieur étant souvent des med-bour, je n’en fait pas assez pour vraiment bénéficier de côté «nature». Je me dis qu’ayant toujours été un gros lecteur, je me serai sans doute rabattu sur ce loisir plus passif si je n’avais pas commencé le jdr. Au niveau de la passivité, avec plus de temps libre j’aurais sans doute été créateur au lieu de simple consommateur dans d’autres domaines, comme par exemple la musique. Mais le hip-hop se porte sans doute mieux sans les contributions d’un homme à l’oreille douteuse et au sens du rythme non-euclidien.

 

La pelle de Cuhlthure

Pour en finir avec la lecture, j’aurais sans doute construit une culture plus classique et socialement acceptable si je n’avais pas fait de jdr. Un livre de règle ce n’est ni du Camus ni du Spinoza. Cela s’applique aussi au cinéma: beaucoup de fiction, de films de genre (méd-fan, science fiction, films d’action en général) influencés par une esthétique jdr qui fait rarement dans le Eric Rohmer ou Lars Von Trier.

Un autre problème lié au fait d’être rôliste au cinéma est l’habitude de griller les scénarios au bout de 5 minutes, de tout trouver “déjà fait”, que ce soit en matière d’univers ou d’intrigue: on devient rapidement blasé. Un autre travers est de ne plus pouvoir regarder une oeuvre sans se poser la question de son potentiel d’adaptation en jdr. Ca gache un peu le plaisir de «l’oeuvre pour l’oeuvre». Mais depuis que je me suis rendu compte que je n’aimais pas écrire des livres de base, ce n’est plus vraiment un problème.

Le vrai problème maintenant vient du grandeur nature, car tout endroit un peu sympa que je visite est immédiatement analysé pour sa réutilisation en tant que site de GN, et tout vêtement un peu funky pour sa réutilisation pour un costume. Ce ne sont donc plus justes les oeuvres de fiction mais la réalité matérielle elle même qui est passée au tamis ludique. C’est peut-être aussi pour ça que je ne me suis pas ennuyé seul depuis l’âge de 12 ans.

 

Donc voilà, c’était Thomas B., rôliste et GNiste, content du bilan et qui espère continuer longtemps!

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2 Responses to Moi, rôliste (et GNiste)

  1. Mixmaster says:

    J’avoue être tombé par hasard sur ton article au gré de surf de page en page. Pour moi ton domaine est complètement inconnu. Enfin on m’a déjà parlé de jeux de rôle de table et grandeur nature, mais j’ai toujours été réfractaire à ce loisir, car rester au minimum 6heures devant une table pour jouer me parait être une éternité, je remarque en plus qu’il faut une bonne dose d’imagination pour justement permettre a tes joueurs de ne pas d’éparpiller et rester toujours attentif au déroulement de la partie… Tu as réussi par ton article à me donner envie de tester au moins une fois une partie de table… Par contre, je ne suis toujours pas du tout prêt à essayer une partie grandeur nature…

  2. Thomas B. says:

    Content d’avoir éveillé ta curiosité, même si j’imagine que ça doit être un peu abscons :).

    Pour le jdr sur table, on peut très bien faire une partie en 1h ou 2h, il suffit juste de se mettre d’accord avant et de trouver un scénario réglable rapidement ou un jeu fait pour comme Lacuna: http://www.thomasbe.com/2012/04/30/lacuna-with-the-in-laws/

    Pour le GN, mon conseil est de commencer entre amis par des Soirée Enquêtes contemporaines, c’est beaucoup plus simple niveau timidité, costume ou crainte du contact physique. Elles sont téléchargeables gratuitement et légalement là:
    http://spsr.murderparty.be/

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