Disclaimer pub-copinage: l’auteur de Wastburg a été camarade de lutte guerrillerôliste et m’a hébergé dans les profondeurs de sa demeure Montréalaise. Je pourrais m’étendre sur les étranges points communs dans nos backgrounds respectifs, mais cela l’obligerait à un coming out douloureux et unilatéral: en effet, tout le monde sait déjà que j’ai pratiqué le GN Vampire.

Wastburg est un roman à facettes de Cédric Ferrand qui nous fait partager le quotidien pas très reluisant des gardes d’une cité portuaire renaissance-fantastique. Les points de vue varient avec chaque chapitre, restent surtout au niveau du bas peuple mais s’élèvent parfois bien plus haut dans l’échelle sociale de la ville.

 

Original Gangstaz

C’est donc du polar méd-fan bien crade, une véritable œuvre de genre avec références assumées. Pour les connaisseurs, le cocktail d’inspiration est grosso merdo 1/3 Gagner la guerre (pour le style), 1/3 les romans du guet d’Ankh-Morpork (pour l’intrigue) et 1/3 Warhammer (pour le décor). Et si Cédric Ferrand n’a pas encore la maîtrise stylistique de Jean-Philippe Jaworski ou Terry Pratchett, lui a eu le bon goût de ne mettre ni elfes ni quêtes campagnardes qui étaient venues gâcher un peu le décor de Gagner la guerre.

 

Too Leust

Mon principal regret vient donc du style. Ne nous méprenons pas: des vieilleries tontonflinguesques au verlan des 90s, j’adore et pratique quotidiennement toutes sortes d’argot. J’avais donc grave kiffé ma race en lisant Gagner la guerre, qui était raconté à la première personne par une raclure au vocabulaire fleuri. Wastburg a un narrateur omniscient, ce qui est un choix tout à fait valable, mais le niveau de langue varie quand même, par exemple plus soutenu quand on suit un personnage éduqué. Comme certains chapitres débordent d’argot et d’autres moins mais quand même un peu, j’ai trouvé le procédé un peu bancal et aurais préféré soit un ton homogène, soit un changement de narrateur à chaque chapitre. Enfin, la haute voltige linguistique requise par cette abondance de vocabulaire alternatif entraîne quelques petites gamelles. Doublons de métaphores quand une seule aurait suffi, phrases dont la surabondance de langue verte tend parfois à l’artificiel, rien de bien grave mais l’éditeur aurait pu faire une relecture un peu plus aboutie.

 

Flic story

Ce qui posait problème niveau stylistique est une des forces de la narration. Même si on papillonne de personnage en personnage, on en retrouve certains au cours de l’histoire et le tout est très bien construit. Ces raccords et clins d’œil donnent une réelle unité au roman. Le rythme est très bien mené et on dévore littéralement les chapitres pour voir où ces tranches de vies et d’enquêtes vont nous mener. « Tranches de vie » est à prendre au sens propre: ceux qui ont pris goût au buttage de protagonistes avec George R.R. Martin vont retrouver leurs petits, les autres sont prévenus. Le plus fort est qu’on arrive vraiment à s’attacher à ces personnages avant de les perdre. C’est parfois juste brutal et surprenant comme un carreau d’arbalète entre les deux omoplates, mais parfois très émouvant comme le garde qui offre à son fiston sa première ronde à cheval. J’ai vraiment été touché par cette capacité d’immersion et d’identification en quelques pages.

 

État policier

L’univers est très sympa: Wastburg est coincée entre deux royaumes qui se détestent, le Waelmstat et la Loritanie, et sa culture de cité état s’est faite du mélange difficile entre une renaissance germanisante et puritaine et des «envahisseurs» plus pauvres, à la culture plus méditerranéenne. On se doute que vivre au Québec a dû influencer la représentation du bilinguisme, d’une population dominant une autre, mais je gage que les Suisses romands s’y retrouveront aussi. Pour ceux qui avaient apprécié le côté allemand Warhammer, c’est très agréable de revoir des mots indigènes fleurer bon le teuton et pas l’anglais ni la traduction douteuse du genre EauProfonde. On n’est pas non plus dans le copier-coller, et les coutumes des deux cultures sont particulièrement bien décrites. Elles sont de plus amenées finement: Wastburg n’est pas un supplément de jeu de rôle mais bien un vrai roman. On partage les joies et les douleurs, l’odeur de sueur, l’humidité froide dans les bottes et le goût du sang dans la bouche quand on vient de se prendre un pain. De même, les questions politico-économiques ne sont pas ignorées et j’apprécie que comme China Miéville, une autre inspiration assumée, Cédric Ferrand aie inclus des conflits sociaux, grèves et autres magouilles dans son monde. Pas de SF à message non plus, la lutte des classes est source à la fois d’histoires haletantes et de réflexion. Je recommande d’ailleurs Wastburg à ceux qui aimeraient voir de la fantasy sociale mais avaient été rebutés par la prose ampoulée de Perdido Street Station.

 

J’ai beaucoup aimé Wastburg et ai clairement envie d’y retraîner mes guêtres. C’est donc avec bonheur que j’ai appris son projet d’adaptation en jeu de rôle par les 12 Singes, et ça risque de donner une sorte de Nightprowler à l’envers, de COPS méd-fan, avec, si tout se passe bien, un humour noir à la INS/MV. Au MJ de restituer le côté crade d’un quotidien dans le caniveau car c’est vraiment une force du livre. Wastburg fait partie de ces romans qui nous offrent autre chose que des prophétie, des dragons et des tas d’or, donc j’espère que les rôlistes le comprendront et lui feront honneur !

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