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Trente ans d’influence XVIIIe dans les musiques populaires

 

Préface du rédacteur

Que le jeu de mot laid du titre sonne comme un avertissement au lecteur: cet billet contient des oeuvres d’un goût plus que douteux, qu’il soit musical ou vestimentaire. Dixhuitièmistes sourcilleux passez votre chemin, je ne saurai être tenu responsable de vos crises cardiaques. Les historiens du rock et du kitsch me pardonneront également la subjectivité de l’ensemble et son point de départ tardif. Oui, j’ai entendu parler de Jimi Hendrix ou Mick Jagger et sais que le mélange d’instruments modernes et de chemises à jabot ne date pas d’hier. Pour satisfaire -ou faire fuire- les plus baby boomers d’entre vous, je me permettrai donc une petite reprise de Bach au synthétizeur analogique par Wendy (à l’époque Walter) Carlos. Interrogations sur le genre, musique électronique, costume flamboyant: les bases sont posées.

Rockers dépités, classicistes courageux ne désespérez pas: si par malheur quelques kraftwerkophiles à grosses montures, fétichistes du Moog se sentiraient encore en terrain connu, l’extrait suivant devrait achever d’insulter tout le monde.

 

Au début des années 80

Je me souviens de soirées, passées non pas dans des boîtes où l’on dansait le mia, mais devant Champs-Elysées et autres émissions de variétés à paillettes. Un invité régulier était Rondo Veneziano, sorte d’orchestre de chambre avec guitare et batterie en perruques poudrées sur la soupe. Alors oui, aujourd’hui on en rigole. On se demande pourquoi Rondo Veneziano n’assumait pas jusqu’au bout, pourquoi les instruments modernes étaient complètement sous-exploités et surtout pourquoi le maestro Gian Piero Reverberi ne se mettait pas lui aussi en culotte et bas blancs. On en viendrait même à le considérer comme le père spirituel d’André Rieu. Mais avec toute la ringardise et le playback qui caractérisaient ces performances, il faut reconnaître que, pour beaucoup, Rondo Veneziano a été un premier contact avec la musique “classique”, les chemises à jabot et plus globalement le mélange des genres.

 

Mylène Farmer

Pour ma génération, le plus grand choc lié à ce mélange vient sans doute des clips de Mylène Farmer, plus particulièrement le mythique diptyque LibertinePourvu qu’elles soient douces. De gros moyens pour éviter la pacotille des rondeaux vénitiens et un format court-métrage inhabituel: le duo Boutonnat – Farmer rend un véritable hommage au Barry Lyndon de Kubrick. Musicalement, pas de tentative de “faire XVIIIe” pour coller aux images: on assume complètement le son pop des années 80. Violente mais diablement efficace, cette juxtaposition se retrouvera à chaque décennie suivante au cinéma avec Plunkett & McLeane de Jake Scott (1999) et le Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006). Plus que leur époque, ces clips ont durablement marqué la perception du siècle des Lumières dans l’inconscient collectif français: quand Christophe Gans, le réalisateur du Pacte des Loups cherchait l’hommage à divers réalisateurs, ses acteurs, sans doute plus lucides, ont confessé avoir eu l’impression de se trouver sur le tournage de Libertine.

J’ai une tendresse particulière pour Pourvu qu’elles soient douces car, passés les synthés si caractéristiques, c’est un des rares succès français mettant en valeur le scratch. Cinq ans après le pionnier Rockit de Herbie Hancock, 4 ans après l’heure de gloire du H.I.P.H.O.P. de Sidney, Pourvu qu’elles soient douces constitue un passage de témoin (certes un peu capillotracté) entre la mode du smurf et les décennies qui marqueront l’avènement du hip-hop français.

 

Bien sûr, au delà de la réalisation des clips et de l’efficacité des morceaux, il faut appeler un chat un chat et reconnaître que ces disques se sont vendus parce qu’ils parlaient de sexe. Mylène Farmer avait déjà pratiqué la confusion des genres et tenté un petit name dropping XVIIIe dans Sans contrefaçon (“un mouchoir au creux du pantalon je suis chevalier d’Eon”). L’exploration de l’androgynie et de la bisexualité continue, en y ajoutant les fessées qu’affectionnait tant Rousseau et une sodomie pas si Sadienne que ça. La recette est vieille comme le monde, mais une certaine idée du XVIIIe permet d’émoustiller le chaland avec classe. C’est ce qu’a compris, à l’échelle internationale, une autre interprète féminine de renom.

En 1990 c’est la démocratisation

Outre une habitude des clips érotiques, Madonna partage avec Mylène Farmer la faveur d’un public homosexuel masculin. Ce lien privilégié permet de récupérer les dernières tendances pour les convertir en succès commerciaux. En témoigne le recyclage du voguing, une danse de boîtes gay new-yorkaises, en un des plus grand tubes de la chanteuse américaine. Au cours des MTV Music Awards de 1990, elle rend à César ce qui est à César, dans un festival de nez poudrés et de shorts moulants.


Les véritables experts en histoire des musiques nocturnes homosexuelles m’objecterons que l’utilisation d’éventails et la modernisation de costumes XVIIIe vient en fait d’Europe, plus particulièrement d’Espagne avec le groupe Locomia. Parti d’un phénomène vestimentaire et chorégraphique, Locomia a  utilisé la musique comme support pour un véritable défilé de mode. Les morceaux hispanophiles des 80s françaises (Manolo Monelete de Vanessa Paradis, Marcia Baila des Rita Mistouko etc) semblent bien timorés face à cette orgie textile. Épaulettes démesurées, cuissardes-poulaines que ne renierait pas Francis Lalanne, et un jeu d’éventail digne des plus grands maîtres du nunchaku: Locomia a mis la barre très haut.


Presque simultanément, à l’autre bout de l’Europe, d’autres artistes dance apportent les codes queer au grand public. Army of Lovers, trio Suédois aux concerts en playback assumé, connaît un succès international avec Crucified. Il y en a pour tout le monde: velus ou pigeonants, les décolletés sont profonds et les trois membres du groupe doivent écluser d’importants stocks d’eye liner, de manchettes en dentelle et de bas blancs.


Army Of Lovers – Crucified par val6210

Côté français, l’équation XVIIIe = fête + homosexualité + mode se retrouve dans le générique du Double Jeu de Thierry Ardisson. On savait l’animateur royaliste, fan de poudre et de chandeliers Louis XV. La musique est certes un remix de la Donna e mobile de Verdi (donc XIXe), mais il y a de la danse, de la fesse des deux sexes et de la mouche, donc on prend!


 

Détour par les terres du Duc de Boulogne

Peu de rappeurs se sont aventurés dans le XVIIIe, les thématiques évoquées plus haut ne collant pas vraiment avec les traditions avouées du hip-hop. Il faudra donc chercher du côté des hédonistes iconoclastes pour retrouver l’imagerie qui nous intéresse.

En 1998, Doc Gynéco ouvre la voie avec Liaisons Dangereuses, un album-compilation caractérisé par ses duos parfois improbables (dont un très oubliable avec Bernard Tapie). Guillotine sur la couverture, lettrage à la plume, interludes appelés “Menuet”, mais surtout quelques belles photos de main noires et de gorges blanches entourées de dentelles. On pourrait se lâcher à des évocations du Chevalier Saint-George, mais l’exégèse à ses limites.

 

Plus anecdotique mais plus original musicalement, on retrouvera un clin d’œil enperruqué aux clichés précieux et décadents dans Soyons sales du groupe lyonnais Les Gourmets.


Les Gourmets – Soyons sales par gourmetsrecordingz

Le véritable hommage au XVIIIe dans le rap français se situe chez Cuizinier. A travers ses mixtapes Pour les filles, le rappeur du groupe TTC s’épanche sur ses envies d’ascension sociale et de fortune, prêt à tout pour atteindre le pouvoir et les femmes. Un vrai Barry Lyndon du XXIe siècle, et le compositeur DJ Orgasmic ne s’y est pas trompé. Il découpe la sarabande de la mythique Suite n°4 pour Clavecin en mi mineur de Haendel, popularisée par le film de Kubrick et nous fait sauter sur sa musique (NdR: pas de clip).

On retrouve une utilisation moins talentueuse de la Sarabande sur un disque autrement plus grand public: l’album T’as vu de Fatal Bazooka. L’humour ras-des-pâquerettes de Michael Youn ne plaira pas à tout le monde, mais Chienne de vie est un pastiche magistral du rap larmoyant dont certains Marseillais se sont fait une spécialité (NdR: clip amateur).

 

Des francophones fans de nippons francophiles

En 2011, il faut se tourner vers le Japon pour retrouver les héritiers actuels des flamboyances vestimentaires de Locomia ou Army of Lovers. C’est en assistant à ma première convention de culture japonaise que j’ai découvert le visual kei. Sans grande homogénéité ni originalité musicales, les groupes de ce mouvement visuel marquent parfois un attachement pour une certaine forme de culture française. Les tignasses en épi des héros de manga se combinent alors avec des chemises à jabot, ces groupes se nomment Lareine, Versailles ou incorporent des “Je t’aime” dans leurs textes. En France, le visual kei est à la mode, et en regardant les coiffures de certains personnages de l’étron scénique que constitue Mozart, l’Opéra Rock, on se dit que la mondialisation favorise des aller-retours pas toujours très heureux.

Le visual kei dixhuitièmiste n’est pas nouveau: l’extrait suivant date de 1998, lors de la tournée Merveilles de Malice Mizer. A noter qu’il ne s’agit pas d’une comédie musicale mais d’un concert “normal” du groupe, qui fournit un étonnant résumé-potpourri à cet billet déjà trop long. Clavecin électronique, bassiste en tricorne, batteur en bicorne, des castagnettes, du playback et du travestissement: tout y est!


Si comme moi vous êtes allergique aux chanteurs sirupeux qui vous rappellent les génériques de dessins animés, quittons nous avec un instrumental. Du métal symphonique, des Chevaliers d’Éon muets qui auraient troqué leurs rapières pour des guitares et nous donnent quelques beaux solos sonnant comme le Parisienne Walkways de Gary Moore. Versailles me permet même de terminer comme j’ai commencé: je vous souhaite donc, après un tel déluge sonore, une Silent Knight.

[Repost de l’article paru sur Pistolets, perruques poudrées et petites pépées, feu mon blog de participation au Défi XVIIIe]

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5 Responses to T’as le look rococo, Coco t’as le look

  1. […] The combination of mood swings and anachronisms did make me reach a point of overdose in the Naples scene. While I found the references to both the Sadean and fascist components of Salò, or the 120 Days of Sodom , I must admit that the visual kei -inspired looks where a tad too much for me at this point.  On a similar note, BBC’s Casanova must have been one more thing that inspired the horrid Mozart, l’opéra rock (for more on this topic check out my previous post). […]

  2. […] à rédiger 5 articles ayant pour thème le XVIIIe siècle avant la fin 2011. Vous avez eu droit à des travestis japonais virtuoses de la guitare électrique, deux mini-séries anglaises, du GN international et ce bon gros classique bien de chez nous. Le […]

  3. Jean-Louis says:

    Commentaire posté sur le blog “Défi XVIII°”.
    Dommage d’avoir fermé le blog “Pistolets, perruques poudrées et petites pépées” était génial ! Peut-être raccourci en “Pistolets, perruques et petites pépées” pour rester plus proche de “Cigarettes, whisky et petites pépées” que chantait Philippe Clay (oui, je suis assez vieux pour avoir connu…)?

  4. Thomas B. says:

    Merci Jean-Louis pour ces commentaires 🙂

    Comme j’avais d’autres sujets à traiter, j’ai tout rassemblé ici par économie de temps. Pour suivre uniquement les sujets XVIIIe, l’adresse est:

    http://www.thomasbe.com/category/enlightenin/

  5. […] a big fan of both the 18th century and of hip-hop, but powdered wigs/turntable mashups are few and far between. So rare in fact that my girlfriend once took pity and drew one for my birthday (see […]

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